1.

Pas question de bouger. Coincée sous la véranda, le visage plaqué contre le sol glacial, congelé, jonché de feuilles mortes et de brindilles qui m’écorchaient la peau, je savais que j’allais bientôt mourir, et ma petite fille aussi. Les paroles d’une chanson de Crosby, Stills et Nash me venaient à l’esprit : « Notre maison est très, très, très sympa… »

Je chuchotai dans l’oreille de ma petite puce :

— Ne pleure pas… je t’en prie, surtout ne pleure pas.

J’étais prise au piège. Impossible de fuir, du moins avec la petite dans les bras. Je n’étais pas idiote ; j’avais envisagé toutes les possibilités de repli. Dans chaque cas, c’était l’échec assuré.

Dès qu’il découvrirait notre cachette, Phillip nous tuerait. Il fallait que je l’arrête, mais comment ? Je gardais une main sur la bouche de Jennie :

— Surtout, pas un bruit, ma chérie. Je t’aime. Il ne faut pas que tu fasses le moindre bruit.

Au-dessus de nous, j’entendais Phillip dévaster la maison. Notre maison, près de West Point. En proie à une fureur sans nom, il allait de pièce en pièce, d’un étage à l’autre, saccageant tout, renversant les meubles. Il était devenu complètement fou. Je ne l’avais encore jamais vu dans un tel état.

Trop de cocaïne, cette fois. Mais le gros problème de Phillip, c’était la vie en général.

— Allons, montre-toi, Maggie, sors de ta cachette ! s’époumonait-il. Allez, Maggie, Jennie, montrez-vous ! N’ayez pas peur, c’est juste papa ! Et papa, de toute façon, il va vous trouver ! Allons, Maggie, on sort ! Fini de jouer, maintenant !

Maggie, je t’ordonne de sortir de ta cachette ! Je vais t’apprendre à me désobéir, petite garce !

Sous le plancher branlant de la véranda, je frissonnais, je claquais des dents. « Je dois rêver, ce n’est pas possible… »

La petite, pelotonnée contre moi, était trempée.

— Ne pleure pas, Jennie. Je t’en prie, ne pleure pas. Tu es vraiment une bonne petite fille, tu sais. Je t’aime, ma puce.

Jennie a hoché la tête et m’a regardée dans les yeux. J’aurais tant voulu pouvoir me dire que ce n’était qu’un mauvais rêve, un cauchemar qui allait bientôt se dissiper, mais tout cela était bien réel, aussi réel que l’infarctus qui avait terrassé ma mère sous mes yeux quand j’avais treize ans, alors que j’étais seule à la maison. Et bien pire.

J’entendais l’homme qui était mon mari monter et descendre l’escalier à pas de plomb, hurlant sans discontinuer comme il le faisait depuis plus d’une heure, martelant les murs de ses poings. Le capitaine Phillip Bradford, instructeur de mathématiques à l’Académie militaire. Officier et gentleman. Ce que chacun croyait ou voulait croire, ce que moi-même j’avais cru.

Une heure s’écoula, puis deux, et bientôt trois.

Nous étions toujours là, recroquevillées contre le sol glacé, dans le noir le plus total. L’enfer.

Jennie avait heureusement fini par s’endormir. Je la serrais contre moi pour lui tenir chaud. J’aurais aimé sombrer comme elle dans le sommeil et renoncer à me battre, mais je savais qu’il fallait que je tienne coûte que coûte. La nuit tirait à sa fin. Quelle heure pouvait-il être ? Trois heures ? Quatre heures ?

Puis j’ai entendu la porte d’entrée claquer comme un coup de tonnerre dans la nuit. Et, juste au-dessus de ma tête, le craquement assourdissant des pas sur les planches.

Jennie s’est réveillée.

— Chut…, lui soufflai-je. Chut…

— Maggie ! Je sais que vous êtes là. Je le sais ! Je ne suis pas un idiot. Vous ne pourrez aller nulle part.

Et là, comme elle l’avait fait si souvent dans son petit lit,

Jennie s’est écriée :

— Papa… papa !

Brusquement, le faisceau terrifiant d’une torche électrique est venu m’aveugler, comme si mille échardes me criblaient les yeux. Et Phillip de beugler triomphalement :

— Coucou, c’est moi ! Je vous ai enfin trouvées, Jennie et Maggie. Mes petites chéries sont là…

Sa voix rauque, éraillée, était devenue méconnaissable.

J’en serais presque arrivée à me persuader qu’en fait, ce fou n’était pas vraiment mon mari. Comment imaginer pareille chose ?

Deux détonations m’ont fracassé les tympans. Il nous avait tiré dessus ; il cherchait à me tuer, à tuer Jennie ou à nous tuer toutes les deux.

Mais, cette fois-ci, j’avais une petite surprise pour Phillip.

Coucou !

Moi aussi, j’avais une arme. Et j’ai riposté.

LA DIABOLIQUEpourepub
titlepage.xhtml
LA DIABOLIQUEpourepub_split_000.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_001.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_002.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_003.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_004.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_005.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_006.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_007.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_008.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_009.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_010.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_011.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_012.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_013.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_014.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_015.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_016.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_017.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_018.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_019.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_020.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_021.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_022.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_023.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_024.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_025.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_026.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_027.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_028.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_029.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_030.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_031.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_032.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_033.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_034.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_035.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_036.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_037.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_038.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_039.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_040.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_041.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_042.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_043.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_044.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_045.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_046.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_047.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_048.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_049.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_050.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_051.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_052.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_053.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_054.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_055.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_056.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_057.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_058.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_059.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_060.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_061.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_062.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_063.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_064.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_065.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_066.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_067.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_068.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_069.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_070.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_071.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_072.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_073.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_074.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_075.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_076.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_077.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_078.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_079.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_080.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_081.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_082.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_083.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_084.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_085.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_086.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_087.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_088.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_089.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_090.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_091.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_092.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_093.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_094.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_095.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_096.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_097.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_098.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_099.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_100.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_101.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_102.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_103.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_104.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_105.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_106.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_107.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_108.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_109.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_110.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_111.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_112.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_113.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_114.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_115.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_116.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_117.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_118.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_119.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_120.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_121.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_122.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_123.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_124.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_125.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_126.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_127.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_128.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_129.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_130.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_131.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_132.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_133.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_134.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_135.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_136.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_137.htm
LA DIABOLIQUEpourepub_split_138.htm